Ils ont choisi l’intérim plutôt qu’un CDI


Lecture: 6 minutes
18 avril 2024

Si pour de nombreux intérimaires, l’intérim est plus subi que vraiment choisi, une minorité d’entre eux en a véritablement fait un choix de vie. Témoignage de quatre d’entre eux.


« Quand on y a goûté, on ne veut plus arrêter », jure Armelle Minelli. Après 22 ans comme infirmière au CHU de Dijon, des « conditions de travail devenues très compliquées » et le besoin de plus de disponibilité dans sa vie lui font quitter le service à 40 ans, en 2022. L’intérim n’est alors pour elle qu’un moyen de tester quelques structures, via l’agence Connectt. Finalement, elle se rend compte que « l’intérim me permettait d’avoir les conditions que je souhaitais ».


Kévin Réal, charpentier couvreur de 33 ans près de Saint-Etienne, y recourt avec Toma Intérim. Rentrant d’un séjour en Australie, sans droit au chômage, il lui fallait vite travailler. Une restructuration de son service d’urgence devait envoyer Florian Maltis, infirmier dans le Doubs, en Ehpad. Il choisit l’intérim via Connectt, pour « garder la mainmise sur ma carrière », ce à quoi s’ajoutent des contraintes familiales. Cheikh Tidiane Thiam, 27 ans, en région parisienne, voulait se réorienter dans la gestion locative mais n’ayant pas d’expérience, il se tourne vers l’intérim.


Aucun d’eux ne voudrait retourner en arrière. Pourtant, nuance le sociologue Dominique Glaymann, pour la majorité, l’intérim est « un choix soumis à la conjoncture » : les salariés l’acceptent, en attendant mieux, ou pour tester différentes entreprises. Une de ses études identifiant quatre degrés de motivation chez les intérimaires montrait que seuls 10% faisaient un vrai « choix autonome » (de 10 à 20% selon d’autres études).


Ils exercent souvent « des métiers assez qualifiés », dans des secteurs où les employeurs ont du mal à recruter : bâtiment, médical, soins à la personne… et où « ils sont à peu près sûrs de trouver du travail », explique le chercheur. Ce que reconnait Kévin Réal : « L'intérim, c'est une sorte de liberté tant qu'il y a du boulot ». Ils subissent moins la précarité forte en intérim, particulièrement chez les moins diplômés. Mais Dominique Glaymann note que même choisi, l’intérim « reste compliqué pour obtenir un bail ou un crédit bancaire ».


L’intérim pour la liberté et le sens dans le travail


Ceux qui ont fait ce choix sont souvent motivés, entre autres, par l’idée de liberté. « Avec mon tempérament, le CDI a toujours un côté un peu menottes », témoigne Kévin Réal, qui enchaine les missions longues.


Liberté de choisir ses plannings et ses périodes de repos. « J’ai adapté mon travail à ma vie personnelle », se réjouit Armelle Minelli, tout comme Florian Maltis, tous deux ayant des enfants jeunes. « C’est moi qui fournis le planning à la boîte d’intérim. Quand j’étais au CHU, on avait les plannings le 15 du mois pour le mois suivant ». Ce qui l’obligeait régulièrement à annuler des rendez-vous ou des événements familiaux. Dominique Glaymann a cependant observé dans ses enquêtes que les intérimaires « prennent difficilement leurs vacances en même temps que leurs enfants ou leur conjoint ».


Liberté aussi de choisir avec qui on travaille. Les intervenants expliquent refuser parfois une mission trop éloignée de chez eux ou réputée pour ses mauvaises conditions de travail. Leurs agences respectent ces choix. « Dans ces métiers en tension, si les conditions ne conviennent pas, les salariés peuvent arrêter la mission ou menacer de le faire. Impossible en CDI. Contrairement à l’image qu’on en a, ils accordent beaucoup d’importance au sens et à la qualité de leur travail », ajoute Dominique Glaymann. Kévin Réal assume être déjà parti d’une « boîte qui bossait mal » ; Florian Maltis et Armelle Minelli ont aussi quitté des structures où des conditions de travail trop difficiles risquaient de présenter un danger.


L’intérim peut survenir après des déceptions sur les conditions ou le contenu du travail. « En CDI, de nombreuses tâches (réunions, dossiers) s'accumulent et prennent sur notre temps de repos. C’est chronophage, ça épuise, illustre Armelle Minelli. Là, notre mission, ce sont les soins, pas les papiers. On retrouve du temps avec les patients ».


Le salaire est forcément irrégulier et jamais garanti, ce qui peut être source de stress. Armelle Minelli explique : « On est un peu mieux payés mais il faut anticiper, mettre de l'argent de côté ». Lissé sur un an, cela correspond à son ancien salaire. Ces intérimaires ont rarement recours au chômage mais cela reste une sécurité en cas de moindre activité. Florian Maltis pointe aussi certaines difficultés : longueur des trajets, non appartenance à une équipe.


L’intérim, plus que le salariat, offre une diversité de situations et un apprentissage permanent. Même si Armelle Minelli reconnait qu’il lui a fallu six à douze mois pour s’adapter aux « structures, locaux, personnel, logiciels informatiques ». Cheikh Tidiane Thiam a profité de formations chez le premier bailleur qui l’a embauché en intérim pour faire des choses très différentes, passant de la gestion locative à des rôles plus axés sur le conseil aux locataires. Florian Maltis, lui, exerce sur des spécialités de niche, les compétences de l’une pouvant être réinvesties sur d’autres. Il a acquis « une telle adaptabilité qu’en redevenant un simple salarié, avec les mêmes collègues, les mêmes armoires, j’aurais l’impression de retourner dans ma zone de confort, de ne plus apprendre ».


De l’intérim plutôt qu’un CDI, sauf si…


Kévin Réal sait que ses employeurs actuels préféreraient l’embaucher, mais « l’intérim me convient mieux et ils le comprennent ». D’autant plus que le secteur est en tension. Armelle Minelli a refusé des contrats longs pour garder « la maîtrise de mon planning ». Cheikh Tidiane Thiam se dit désormais prêt à accepter un CDI si les conditions (flexibilité des congés, salaire) lui conviennent.


La situation serait aujourd’hui plus compliquée, puisqu'un intérimaire qui refuse deux CDI en douze mois peut être radié de Pôle Emploi. Les intervenants ne connaissaient pas tous cette loi récente, et si certains s’en inquiètent, d’autres estiment qu’elle aura peu d’impact. « Dans mon métier, il y a de la demande. S'il y a un problème avec l'intérim, j'irai voir ailleurs », abonde Armelle Minelli.


Florian Maltis observe cependant une diminution des offres depuis quelques mois. Pour lui, c’est lié à la loi Valletoux qui conditionne l’intérim pour les soignants à un minimum d’expérience, mais aussi aux restrictions budgétaires dans le secteur médical. Alors il se pose la question de quitter l’intérim… ou la France. Pour Kévin Réal, qui devra peut-être se reconvertir dans quelques années, son métier étant très usant, « C'est un choix de vie qu'on peut faire, intérimaire ne rime plus toujours avec précarité ».

© MidJourney / Tremplins
18 avril 2024
Membre depuis le 18 avril 2024
1 articles publiés