Inégalités de genre : où en est-on dans le monde de l’intérim ?
Le secteur n’échappe pas aux fluctuations sociales et si l’on peut noter quelques avancées en la matière, du côté des intérimaires aussi, les inégalités de genre persistent.
Djaouidah Séhili, professeure des universités, sociologue du travail et des professions, spécialiste de l'intersectionnalité, des processus de discriminations et des inégalités, nous partage son expertise sur le sujet.
Les chiffres des inégalités de genre dans le secteur de l'intérim
Financièrement, les salaires perçus par les deux genres souffrent encore des inégalités de genre et de leurs conséquences sur la sphère professionnelle, y compris dans l’intérim. En effet, si les femmes intérimaires sont en moyenne plus diplômées que les hommes, 11% d’entre elles possédant un diplôme supérieur à bac +3, contre 5% des hommes, elles percevaient en 2022 un salaire de 14,5% inférieur à leurs homologues masculins chez les cadres, et 3,5% inférieur chez les non cadres, selon un rapport de l’OIR. Ces différences salariales se vérifient à chaque niveau de classification. « Les inégalités nourrissent les discriminations, et vice-versa », précise Djaouidah Séhili, « recrutement, salaire, perspectives professionnelles… Les femmes restent donc en situation d’infériorité par rapport aux hommes du fait de ces inégalités persistantes en société et des discriminations qui en découlent à tous les niveaux ».
En termes d’emploi pur et dur, dans le monde de l’intérim, les hommes restent largement majoritaires. Toujours selon le rapport de l’OIR, sur les 3 079 857 intérimaires en 2022, 36% étaient des femmes, contre 64% d’hommes. À noter toutefois que cette répartition évolue positivement mais lentement depuis quelques années. Les femmes représentaient ainsi 35% des intérimaires en 2021. En revanche, en matière d’heures travaillées moyennes sur l’année, on observe un écart significatif entre les deux genres : 355 heures pour les femmes, contre 536 chez leurs homologues masculins.
Les challenges de l'égalité des genres dans le secteur intérimaire
« Nous sommes dans une société de travail, où tout est travail », entame l’experte, « et puisque tout est travail, il faudrait donc revoir l’entièreté de la société pour pouvoir réduire, voire annihiler, les inégalités dans la sphère professionnelle ». Vaste programme, puisque tout ce qui nous entoure trouve plus ou moins de liens avec la sphère professionnelle, il est donc tout à fait logique de retrouver dans le monde de l’intérim les mêmes inégalités de genre qui persistent dans la société.
Comment cela se traduit-il dans ce secteur ? Au-delà de l’aspect financier évoqué précédemment, selon un rapport de l’OIR, cela se manifeste également dans les typologies de métiers exercés par les hommes et femmes intérimaires. Les postes les plus souvent occupés par les femmes intérimaires sont ainsi ceux de secrétaire, aide-soignante, assistante ressources humaines, vendeuse ou encore comptable. « On retrouve bien souvent les femmes dans les métiers dits du care (ndlr : l’éducation, les services à la personne, le médical…) », souligne Djaouidah Séhili, « c’est dans la continuité de tout ce qu'on leur demande déjà dans notre société ». A contrario, on retrouve davantage les hommes dans les domaines ouvriers.
Alors, comment pallier efficacement ces inégalités et tendre vers un monde de l’intérim plus égalitaire ? Plusieurs pistes à cela.
Vers une transformation durable : les perspectives pour promouvoir l’égalité homme-femme dans l'intérim
En matière d’initiatives efficaces pour lutter contre les inégalités de genre, Djaouidah Séhili préconise de revenir aux bases. « Il faut respecter la loi avant toute chose », précise ainsi l’experte. Cela, parce que la plupart des initiatives plus poussées mises en place par les entreprises et agences d’intérim sont en général boudées par les éléments les plus à mêmes d’en bénéficier. Laura, conseillère en agence d’intérim parisienne et responsable diversité et inclusion dans cette même agence, en atteste : « Quand on propose des conférences sur le sujet de l’égalité des genres, la vaste majorité des personnes inscrites sont des femmes qui subissent ces inégalités, et non des hommes décisionnaires, donc en position de pouvoir et leviers de changement. C’est dommage, et dommageable pour les premières concernées ».
Charge également aux agences d’intérim de travailler davantage leur politique d’inclusion et de diversité. Face au syndrome de l’imposteur du côté des femmes intérimaires, qui les freine face à des postes où leurs homologues masculins moins qualifiés n’ont pas peur de postuler, les agences d’intérim peuvent avoir leur rôle à jouer. « Le jour où un conseiller en agence m’a demandé de postuler sur un poste en intérim où je ne me pensais pas suffisamment qualifiée, que j’ai été prise et que j’ai réussi ma mission avec succès, j’ai davantage pris confiance en moi qu’en 6 ans d’intérim », souligne ainsi Anaïs, 34 ans.
Les agences peuvent également agir sur les biais inconscients (ndlr : les préjugés ancrés en défaveur des femmes, ici) de leurs recruteurs, et avoir ainsi un pouvoir de changement sur les structures d’accueil. Cela passe par la formation, des processus de recrutement plus égalitaires passant notamment a minima par le CV anonyme, et par un jury de recrutement composé d’un homme et d’une femme, aux avis pris en compte à parts égales.
Enfin, au-delà de la sphère purement professionnelle et pour en revenir aux propos de Djaouidah Séhili, c’est également à la sphère sociale globale de passer à la vitesse supérieure. Aujourd’hui encore, les femmes intérimaires affichent une satisfaction supérieure face à leur statut comparé à leurs homologues masculins (21% contre 10%). La raison à cela ? Un mode de vie plus en phase avec leurs projets personnels. C’est d’ailleurs pour ces mêmes projets que les femmes quittaient en majorité l’intérim en 2015, à 59%.