Interview

Exposition «La Grande Commande» : Un autre regard sur la logistique


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16 février 2024

Méconnue du grand public, la logistique occupe pourtant une place centrale dans le fonctionnement de notre quotidien. Pourtant ces hommes et ces femmes qui s’activent dans l’ombre font partie – au même titre que les soignants, les caissières, les éboueurs – de ces travailleurs invisibles qui ont littéralement fait tourner le pays pendant la pandémie de la Covid-19.

Pour leur rendre hommage, la photographe Sophie Loubaton dévoile avec un regard bienveillant, les coulisses de la logistique à l’occasion de La grande commande, « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », financée par le Ministère de la Culture. Rencontre.


Expliquez-nous ce qu’est la Grande commande ?

C’est une initiative du Ministère de la Culture et opérée par la BnF en soutien à la filière photojournaliste. Pour ce projet, 200 photographes professionnels ont été sélectionnés pour partager leur regard sur la société. C’est une expérience qui a été très productive. Pendant 4-5 mois, j’ai pu arpenter les plateformes d’Ile de France et du Loiret, totalement libre de mes mouvements. J'ai rendu 200 images, 10 photos ont été tirées sur papier, deux seront présentées à la BnF. Parallèlement, la Galerie Fait & Cause à Paris a accepté d’exposer 40 images et leurs histoires.


Qu’est ce qui vous a intéressé dans cette démarche ?

Ce genre de commande est rare. C’est une vraie opportunité et nous avions carte blanche. Si j’ai choisi la logistique, c'est parce que c’est le nerf de la circulation des marchandises. De plus, j’ai un intérêt particulier pour ce qui se passe dans le périurbain, un environnement disqualifié par ces lieux qu’on décrit comme déserts, moches…Pour moi, ce sont des territoires très familiers que j’observe évoluer.


Les métiers de la logistique sont invisibilisés. Cette commande, c’est l’occasion de reconnaître un secteur essentiel à l’approvisionnement du pays mais qui n’est pas très glamour, aux yeux du grand public.

Tout à fait. Pourtant grâce à la logistique, les gens ont pu continuer à faire leurs courses pendant la pandémie. Mais c’est vrai, ce n’est pas un domaine connu, difficile à photographier, même d’un point de vue technique. Malgré tout, c’était une expérience très riche humainement.


Justement, comment humaniser la logistique ? 

Je me suis focalisée sur les personnes au milieu des cartons et des machines, en présentant le contexte et la tâche. Humaniser les métiers de la logistique, c’est aussi montrer la camaraderie de cette main d’œuvre ouvrière d’aujourd’hui. Les gens font du covoiturage, ils prennent les transports en commun ensemble, ils se parlent, ils donnent un coup de main au collègue qui ne suit pas le rythme…


Quelles ont été les réactions des personnes que vous avez photographiées ?

J’ai essayé de rester discrète pour ne surtout pas les déranger ou les retarder. Les gens étaient étonnés qu’on s’intéresse à leur travail. Certains, comme ces caristes dans l’entrepôt de la Biocoop étaient vraiment contents, c’était une forme de reconnaissance pour eux.


En quoi votre regard sur la logistique a changé avec cette commande ?

On a tendance à oublier qu’il y a de l’humain derrière le clic d’une commande internet. Or, absolument tous les objets de notre quotidien transitent par les plateformes de logistique, même ceux qu’on achète dans un supermarché. Il y a une vraie méconnaissance de ce secteur. Ce sont des gens qui bossent vraiment beaucoup, parfois pour des bricoles, comme des commandes de 3€ qui leur demandent énormément d’énergie.


@Sophie Loubaton


Qui avez-vous croisé dans ces entrepôts ?

Des jeunes, des quinquas, autant de femmes que d’hommes. J’ai aussi rencontré pas mal de personnes qui ont évolué en interne : un jeune qui a débuté comme préparateur de commande pour devenir coordinateur, un trentenaire jeune papa qui a décroché un CDI. Et puis, il y a aussi des intérimaires qui ont la liberté de changer de mission si c’est trop dur ou si ça se passe mal avec le chef.


Y a-t-il un moment, une personne, un endroit qui vous a particulièrement marqué ?

Plusieurs. Tout d’abord, il y a ce jeune mauritanien qui travaille chez Mondial Relay. Il a envie de se perfectionner en français qu’il parle déjà très bien, il veut passer son bac, il aime la littérature, Voltaire… Bref, il a envie d’autres choses.

Il y avait aussi cet homme assez touchant qui avait le sentiment d’être utile parce qu’il stockait du chocolat. Comme le chocolat est réconfortant, il faisait du bien aux gens. Un autre cariste m’a dit : « On est des humains, on n’est pas là que pour brasser des colis ». Je me souviens également de cet homme de 50 ans très fier de son savoir-faire et qui aimerait que les gens viennent voir à quel point il travaille dur.

C’était cela le but de mon travail : montrer ces individus, le collectif qui en ressort et transmettre leur parole qui n’est jamais entendue.


La France sous leurs yeux, BnF PARIS

19 mars – 23 juin 2024


Exposition LOGISTIQUE A votre service

Galerie FAIT & CAUSE

Du 15/02/2024 au 20/04/2024

58 rue Quincampoix

75004 Paris

Du mercredi au samedi de 13H30 à 18H30

Entrée libre

© Sophie Loubaton
16 février 2024